What's up mom ? • Rosemary

des années que cette rencontre, tu voulais la vivre. des années que cette idée t'obsède au point d'en rêver la nuit, au point que ces derniers jours, ton sommeil s'en trouvait troublé à l'idée que ça puisse éclater comme du verre, que tes mots puissent la heurter alors que tout ce que tu souhaites, c'est lui exposer une vérité qui est la sienne, la votre, cette histoire qui vous appartient mais pas totalement, à ton plus grand regret. tu es arrivée trente minutes avant l'heure du rendez-vous que vous vous étiez fixé, scrutant l'horloge du café comme si ça allait réguler les battements de ton coeur qui tambourinent contre ta cage thoracique comme s'ils voulaient exploser cette prison osseuse pour s'enfuir. trente minutes à te demander si elle allait vraiment venir, si elle voulait vraiment connaître les raisons pour lesquelles tu n'as jamais pu faire partie de sa vie. un thé qui arrive devant toi, un sourire que tu offres à la personne en charge du service pour la remercier et tu la vois de l'autre côté de la vitre du café et tu commences à reprendre espoir. un sourire quand elle se trouve finalement installée face à toi, que tu entends le son de sa voix. « bonjour skyler jolicoeur » ton thé terminé, tu en demandes un nouveau lorsqu'elle passe la commande de son latte macchiato avant de reporter ton attention sur ta progéniture. « et bien.. je ne pense pas qu'il y ait de bonne ou de mauvaise façon de commencer ce genre de conversation, tu sais ? alors faisons simple, pour commencer, et après tu pourras me poser toutes les questions que tu veux, à moins que tu veuilles directement entrer dans le vif du sujet ? » l'impression de trop parler, de perdre toute contenance face à cette enfant que tu n'as jamais eu la chance d'élever.

tu te doutes que cette entrevue ne sera pas la plus aisée qui soit, que cette magnifique jeune femme que tu as mise au monde il y a vingt-quatre ans de cela ne te rendra aucunement la tâche facile et qu'il y a des chances que tout parte à vau-l'eau. mais au moins, tu pourras lui exposer les faits tels qu'ils ont été, tout ce que tu as dû vivre après sa naissance, jusqu'à aujourd'hui. lui prouver que ce n'était pas de ton ressort tout ça, que t'avais pas ton mot à dire, que t'as pas eu le choix une seule seconde. tu veux lui dire que tes autres enfants sont au courant de son existence, que tu n'as jamais caché ce regret d'avoir été contrainte et de ne pas avoir su tenir tête à celui qui a été ton époux. « en effet.. et je dois admettre que ça fait un moment que je sais à quoi tu ressembles, mais je n'avais pas le droit de m'approcher de toi, si tu veux tout savoir. » ta gorge que tu racles pour garder un minimum de contenance face à elle, malgré toutes ces émotions qui prennent possession de toi en simultané. il est l'heure de dévoiler une réalité à laquelle elle ne s'attend sans doute pas. « parce qu'il est temps que tu connaisses la vérité sur tout. sur moi, sur les raisons pour lesquelles tu as fini à l'orphelinat, sur ton père.. il y a tant de choses que je dois t'expliquer. si je ne fais ça que maintenant, c'est parce que la barrière qui était dressée devant moi toutes ces années passées loin de toi n'est plus de ce monde. ça fait des années que je suis à roselake, mais tu dois savoir que je t'aurai retrouvée n'importe où dans le monde s'il le fallait. » le serveur revient avec vos boissons et tu lui adresses des remerciements souriants, avant de reporter ton attention sur la chair de ta chair. « j'ai moi-même été à l'orphelinat, je ne sais pas qui sont mes parents biologiques, je ne sais pas d'où je viens et je sais ce que tu as pu traverser là-bas. certes, j'ai eu la chance d'être adoptée, mais ma vie n'a été formatée que pour faire de moi une pute qu'on marie à un aristocrate. j'ai dû épouser un homme beaucoup plus âgé que moi, que je ne désirais pas, que je n'aimais pas, et j'ai rencontré ton père quand j'étais au lycée. on a eu une relation passionnelle dans le dos de celui à qui j'étais promise et je suis tombée enceinte de toi. comme mon mari et moi n'avions que peu de rapports, et aucun non protégés durant la période de ta conception, il était logique que tu n'étais pas sa fille. alors à ta venue au monde, il m'a forcée à te déposer à l'orphelinat, et il a clamé haut et fort que l'enfant que j'attendais était mort né. ton père l'a appris comme ça et il ne s'est jamais remis de "cette perte" et il s'est.. ôté la vie, en me laissant une lettre, même s'il n'a jamais assumé cette paternité à cause de ses parents. et j'ai dû rester enchaînée à cette union sans amour jusqu'à la mort de mon mari, au cours de cette année. tu as un frère et deux soeurs, qui sont au courant de ton existence. mais au cours des huit dernières années, j'ai suivi ta trace. j'étais là, de loin.. » des larmes perlent sur tes joues sans que tu ne contrôles rien, bien loin de la grande dame que tu mets toujours un point d'honneur à montrer. « j'ai tellement de regrets de ne pas avoir su te garder près de moi, skyler.. »

ce n'est pas simple de te mettre à nue comme ça, de remuer un passé bien plus sombre que ce que tu as toujours laissé entendre. ta vie a toujours été dictée, malgré ta force et ta grande gueule, il y a toujours eu un monstre plus gros au dessus de ton épaule pour dicter tes faits et gestes. en dehors de tes placements stratégiques en matière d'affaires, tu n'as jamais eu le choix de rien. le destin tracé d'une pute qui hérite d'un empire, qu'on marie à un aristocrate détestable, manipulateur et dans le contrôle permanent de ta vie d'épouse. peut-être que tu déballes les choses un peu trop rapidement, peut-être même que tu t'emmêles un peu les pinceaux dans tes dires, mais t'es fortement déstabilisée. ce moment, tu l'as imaginé durant ces huit dernières années, tu pensais que tu allais gérer ton discours avec plus de facilité, mais entre les situations hypothétiques et la réalité, les différences sont flagrantes. un soupir que tu laisses échapper face à cette rage qui émane de cette enfant qui ne te connait pas. « tu sais, avoir des couilles quand on te castre mentalement, ça sert pas à grand chose. alors oui, j'ai une sacrée paire, mais on m'a pas laissé le choix de vivre la vie que je voulais. » tu la laisses s'exprimer sur les trois points qui l'ont marquée le plus dans ton discours sans broncher, parce que tu comprends ce qu'elle peut ressentir. tu aurais sans doute la même réaction qu'elle si ta génitrice se pointait devant toi aujourd'hui. « si on m'avait laissé le choix, je t'aurai gardée. ton adoption, on me l'a imposée et ça m'a détruite. si j'avais pu récupérer ta garde quand tu étais à l'orphelinat je l'aurai fait, mais même là j'ai pas eu le choix. et putain, j'en avais rien à foutre de cette réputation, de ce mariage, de ce vieux pervers qui m'a coincée pendant 24 ans. j'ai demandé le divorce un nombre incalculable de fois, j'ai jamais voulu que ton père se foute en l'air, j'ai jamais voulu qu'il sorte de ma vie et ça non plus, j'ai pas eu le choix. ils ne sont pas mieux que toi, ne dis pas ça... » une sensibilité que tu essaies tant bien que mal de garder nouée au fond de ta gorge. « tu me ressembles plus que tu ne le crois, skyler. j'avais le même âge quand t'es venue au monde. » tu voudrais la prendre dans tes bras, mais tu sais que le rejet sera violent alors tu baisses les yeux sur ta boisson que tu n'as même pas touchée. « je voulais que tu saches la vérité, m'excuser du tort que ça a provoqué dans ta vie d'avoir une génitrice comme moi qui n'a pas su s'imposer pour te donner l'amour que tu méritais, et peut-être que dans le fond j'espère l'impossible de t'avoir dans ma vie, même si ça ne rattrapera jamais le temps perdu.. » une sincérité qui pourtant tu le sais, sera perçue comme une provocation