It's time to meet again [Pv Hae-Ri Teissier]

It's time to meet again

Des mois se sont écoulés depuis que Hae-Ri et moi avons dû fuir nos mafias après qu’ils aient découvert notre relation. J’étais dans un sale état, il m’a fallu de longues semaines et même des mois pour m’en remettre physiquement. Pendant tout ce temps, Hae-Ri et moi sommes restés isolés dans une maison dont personne ne pouvait trouver l’adresse. Nous y avons passés… de très, très bons moments. Je savais que ça ne pouvait pas durer, que nous ne pouvions pas rester là, cachés, pour toujours. J’ai fini par me remettre de mes blessures et même si nous étions bien, tous les deux, toutes les bonnes choses ont une fin. Rester cachés pour toujours, ce n’est pas mon genre. J’aurais fini par être malheureux, Hae-Ri aussi, sans doute. Nous avons des métiers, une vie, une double-vie même. Je suis capable de beaucoup de choses, par amour, sans doute pas les choses les plus raisonnables mais tout de même beaucoup de choses. Cependant, arrêter de travailler pour la mafia, pour ces personnes qui sont de ma famille même si je ne partage pas leur sang, je n’en suis pas capable. Il y a cette part sombre de moi qui doit peut-être déplaire à ma petite-amie. Je ne peux pourtant pas m’en défaire.

Ça fait deux semaines que nous sommes retournés à Roselake et je n’ai pas encore revu Hae-Ri. Ça a été la folie, ces derniers temps. Après être retourné dans la ville où nous habitons, j’ai reprise discrètement mon travail et ne me suis pas fait remarquer par ma mafia pour discrètement préparer mon coup d’état. Il y a un peu moins d’une semaine, avec certains hommes de confiance, j’ai mené une attaque au QG de la mafia. Cette attaque s’est terminée par la mort de mon père. Je pourrais dire que j’ai été attristé de lui enlever la vie mais ce n’est pas le cas. Je savais bien que tant qu’il serait en vie, je serais toujours considéré comme un traitre et la vie d’Hae-Ri serait toujours en danger. C’était hors-de-question que la vie de celle que j’aime continue d’être menacée. J’ai repris le contrôle de la mafia, m’imposant comme chef. Tout le monde ne m’a pas accepté et j’ai dû faire preuve d’autorité et de beaucoup de vigilance pour empêcher un autre coup d’état, contre moi, cette fois.

Quelques jours sont passés depuis ma prise de pouvoir. J’ai repris toute l’organisation de la mafia pour qu’elle soit à mon image et qu’elle suive mes principes. J’ai revu les décisions de mon père qui ne me plaisaient pas et j’ai continué de prouver mes compétences en tant que nouveau chef. Je sais que certains ne sont toujours pas convaincus que j’ai ma place à la tête de la mafia mais mon coup d’état est encore récent et je leur laisse plus de temps pour s’y faire. De mon côté, je ne regrette pas vraiment mon père, au contraire. Il n’a jamais été un vrai père pour moi, il n’était qu’une figure d’autorité, un patron froid et pas toujours très juste. Je sais que sans l’avoir dans ma vie, je serais désormais bien plus libre. Le tuer était peut-être un peu trop drastique mais c’est comme ça que ça fonctionne, dans le monde des mafias.

J’ai repris mon travail en tant que réalisateur, j’ai travaillé jour et nuit que ce soit pour le cinéma ou pour ma mafia. J’avais de l’ordre à remettre dans tous les pans de ma vie et si tout n’est pas encore parfait, Hae-Ri me manque bien trop pour que je résiste à l’envie de la revoir. Plus personne -de mon côté- ne peut m’empêcher d’être avec elle et il est tant que je sache ce qu’il en est pour elle. Après une journée de tournage, j’ai rejoint sa maison. J’ai besoin de la voir, de la tenir dans mes bras, de l’embrasser. En deux semaines, il n’y a pas une journée ni une heure où je n’ai pas pensé à elle. Arrivé chez elle, j’ai découvert qu’elle n’était étrangement pas encore rentrée mais je ne m’en suis évidemment pas formalisé. Je n’ai eu aucune difficulté à entrer chez elle -oui, oui, par effraction- pour l’attendre tranquillement dans son salon. J’aurais simplement pu rester devant mais ça aurait été nettement moins confortable et moins discret, aussi. Installé dans l’un de ses fauteuils, j’ai pris le soin d’allumer la lumière pour éviter qu’elle me tire dessus dans le cas où elle ne me reconnaît pas et je sors mon téléphone pour consulter mes mails en l’attendant (im)patiemment.

It's time to meet again

En quelques mois, les choses avaient complètement changé. Tout était soudain devenu différent, je ne sais pas trop ce qui s'est passé... Enfin, à part mon isolement de quelques mois avec Kyu-Geon après que nos familles aient essayé de nous tuer. Rien que ça déjà, rien n'est naturel. Mais c'était comme ça, dans ce monde qu'on m'avait imposé, dans cette vie à laquelle on m'avait rattachée sans que je n'aie jamais eu mon mot à dire. Si j'ai toujours mal vécu cette situation, j'ai l'impression que c'est de pire en pire. Si j'avais été heureuse pendant un long moment dans cette maison isolée avec l'homme que j'aime, les mots de Kyu-Geon avaient fini par me renvoyer cette réalité en pleine figure, et pendant un temps je me suis posé une question primordiale : était-ce possible ? Cette relation ? Lui et moi ? Nous étions si semblables et pourtant si différents. Il m'avait fait redescendre bien trop brusquement de mon nuage, et j'ai eu du mal à me remettre de cette chute qui m'avait blessée.

Alors que je n'aspirais qu'à fuir ce monde de violence et de ténèbres, lui, souhaitait y prendre part pleinement. Comment cela pouvait-il être possible ? Nous étions foncièrement différents à ce sujet, et je ne savais pas si c'était quelque chose qui pourrait s'arranger un jour. Malgré mon amour inconditionnel pour lui... Étais-je capable d'accepter cette partie de vie qui me dégoûtait au plus haut point ? Pouvais-je vraiment faire fi de mes convictions les plus profondes juste pour être à ses côtés ? Pour la première fois, je me posais sincèrement la question. J'avais la sensation de remettre en cause toute ma vie, dans son entièreté, dans sa globalité. J'étais complètement perdue, je ne savais pas quoi faire. Je n'en avais pas parlé à Kyu-Geon, je ne sais même pas s'il avait remarqué quoi que ce soit sur mon changement lors des derniers moments que nous avions passés ensemble en exil.

Nous étions finalement revenus dans cette horrible réalité. Il avait rejoint sa vie, sa mafia... Et moi ? Non. Je n'en avais rien fait. Pendant des jours, j'ai erré dans Roselake, prenant une chambre d'hôtel, pas encore prête à reprendre ma vie là où elle s'était arrêtée. Enfermée dans cette chambre, j'avais passé des heures à réfléchir, à tourner et retourner les choses dans ma tête. À essayer de comprendre ce que je voulais vraiment, comment j'envisageais ma vie. Il serait mentir de dire que j'allais bien à ce moment-là. En réalité, les deux premiers jours j'étais prise d'une furieuse envie de fuir, de fuir loin d'ici, loin de ce pays, loin de cette vie. J'avais même acheté un billet d'avion pour partir en Corée du Sud, pour rejoindre cette autre famille qui pourrait m'apporter une autre stabilité, un monde à l'opposé de celui que j'avais ici... Avant, je ne me sentais pas capable de tout quitter et de partir... Mais aujourd'hui, c'était différent. Et je me sentais prête à tout recommencer à zéro. Qu'est-ce qui m'en empêchait ?... Lui. Partir soudainement et ne plus le revoir... Je n'étais pas sûre de pouvoir le faire. Alors j'ai repoussé la date de mon départ, me laissant encore un peu de temps pour réfléchir avant de prendre une décision radicale qui changerait à jamais les choses.

Pendant deux semaines, je n'ai eu aucune nouvelle de Kyu-Geon... Mais je ne lui en donnais pas non plus. Je ne voulais pas le voir en réalité. Je savais très bien que cela fausserait ma prise de décision finale, simplement parce que, quand je suis près de lui, je n'arrive plus à réfléchir de façon rationnelle. Il a ce pouvoir sur moi... De me faire tout oublier, de m'envahir complètement. Alors non, je devais rester loin de lui à tout prix, le temps d'y voir plus clair. Finalement, au bout d'une semaine, j'avais décidé de bouger et d'aller affronter mon père. Il serait trop optimiste de croire qu'il n'était pas en colère. J'ai bien cru qu'il allait exploser lorsqu'il m'avait vu... Avant de finalement me prendre dans ses bras... Et j'ai complètement bugué à ce moment-là. Je m'attendais à tout sauf à ça. Et finalement j'ai compris que, malgré les apparences, il tenait réellement à moi. Il avait perdu ma mère qui avait été son grand amour. Il avait perdu Stéphane qu'il considérait comme son fils. J'étais la dernière chose qu'il lui restait. Et il ne voulait pas me perdre, moi. Alors nous avons discuté... Mais très vite nous nous sommes heurtés à un problème de taille : Kyu-Geon et sa mafia. Mon père ne l'acceptait pas. Cette mafia qui lui avait pris un des êtres qui comptait le plus pour lui... Jamais il ne pourrait avoir confiance en eux. Surtout après leurs trahisons. Mon cœur se serrait à ses paroles... Si seulement le père de Kyu-Geon n'avait pas décidé de tout foutre en l'air, les choses auraient pu être différentes. Évidemment, mon père me demandait sérieusement de mettre un terme définitivement à ma liaison avec Kyu-Geon... Mon cœur ratait un battement. Il n'avait jamais été aussi perdu.

Je fus soulagée de la tournure qu'avaient pris les choses d'une certaine manière. Cela faisait seulement deux jours que j'étais revenue chez moi. Et aujourd'hui, j'étais retournée à l'école pour essayer de récupérer mon poste. Heureusement, le directeur qui subissait la désertion du corps enseignant avait accepté de me réintégrer. Je reprendrais vite le chemin des cours... Alors ma décision était-elle prise ? Est-ce que je restais ? Ça semblait en prendre le chemin. Mais alors pourquoi... Je me baladais toujours avec ce billet d'avion pour Séoul en aller simple dans mon sac à main, comme si j'avais peur qu'il disparaisse ? Je devais encore affronter Kyu-Geon, c'était la dernière étape... Je soupirais alors que je rentrais chez moi en cette fin de journée. Perdue dans mes pensées alors que je fixais ce billet d'avion niché entre mes doigts, je n'avais même pas remarqué une lumière qui émanait de la fenêtre. Ce n'est que lorsque j'entrais, constatant que la porte n'était pas verrouillée que je tiltai... Qu'est-ce que c'était encore ? La lumière du salon était allumée alors que j'entrais à l'intérieur et mon cœur ratait un battement... J'aurais dû avoir peur, j'aurais dû soit m'enfuir, soit foncer dans le tas... Mais au lieu de ça je restais figée sur place... C'était lui... Je le savais, je le sentais. Avions-nous à ce point ce genre de connexion pour qu'aucun doute ne persiste dans une situation comme celle-là ? Lentement, j'avançais vers la lumière et me retrouvais face à Kyu-Geon, assis sur un des fauteuils, vêtu de son beau costume... Mon rythme cardiaque s'emballait immédiatement. Je ressentais en une fraction de seconde ce manque des deux dernières semaines que j'avais tenté au maximum d'occulter. Mes doigts resserrèrent fortement leur prise sur le billet... Je ne savais même plus comment réagir face à lui. Mon cœur et ma tête en total désaccord... "Bonsoir... Kyu-Geon..." Soufflais-je à son intention.

It's time to meet again

Je pensais qu’elle réagirait autrement, en me retrouvant après deux semaines sans nouvelles. Quand je la vois s’avancer dans son salon où je me suis installé comme si j’étais chez moi, je me lève lentement, un léger sourire sur mes lèvres. Elle m’a manqué, je ne serais pas là sinon. Je ne sais même pas si la situation avec son père s’est arrangée et c’est un grand risque que je prends d’être ici. Je suis cependant trop attaché à elle pour pouvoir attendre un jour de plus, pour avoir la patience de me renseigner sur sa situation avant de lui rendre visite. Elle est toujours aussi belle, exactement comme dans mes souvenirs. Je sais que ça ne fait qu’une petite quinzaine de jours depuis la dernière fois que nous nous sommes vus mais ça m’a paru beaucoup plus long. Je m’avance vers elle. Le temps peut passer et nos problèmes familiaux peuvent nous éloigner l’un de l’autre, je sais que je lui reviendrais toujours. Elle est si charmante dans ce petit ensemble. Je voudrais la prendre dans mes bras mais je ne peux pas m’empêcher de me demander comment notre relation va évoluer. Quand nous sommes revenus à Roselake, c’était plutôt… tendu, entre nous. Je sais que mon désir de rester un mafieux la dérange. Je ne peux pas renoncer à ce travail mais je ne peux pas non plus renoncer à elle.

-Bonsoir, Hae-Ri.

Mon regard se baisse sur ce qu’elle tient entre ses doigts, fébrilement. Mes sourcils se froncent légèrement alors que je crois reconnaître le papier. Je me penche un peu en avant pour observer de plus près le billet d’avion pour en découvrir la destination et mon sang se glace d’un coup. Je relève mon regard pour l’ancrer dans celui d’Hae-Ri et un mélange de surprise, de tristesse et de trahison brille dans mes pupilles. Je ne pensais pas qu’elle considérerait cette solution, je n’aurais même jamais imaginé que ça puisse lui traverser l’esprit.

-Tu veux… partir ? Tu veux aller vivre en Corée du Sud ?

Je sais que le lien que nous avons n’a rien de simple, de sain non plus. C’est dangereux pour deux personnes de notre milieu de s’aimer ou pire, de vouloir quitter ce travail. Nous avons été élevés pour le faire, je ne vois pas comment je pourrais y renoncer. Je ne pourrais pas non plus la laisser quitter la France. Elle occupe chacune de mes pensées. Je ne pourrais pas supporter l’idée qu’elle vive à des heures d’ici, l’idée que nous ne nous reverrions plus. Je voudrais la prendre dans mes bras, la serrer contre moi, l’embrasser mais je n’arrive pas à penser à autre chose qu’à cet aller-simple.

-Pourquoi est-ce que tu as ce billet, Hae-Ri… ?

It's time to meet again

Il s'approche de moi et j'ai la sensation que mon cœur va exploser dans ma poitrine. C'est tellement plus facile de réfléchir lorsqu'il n'est pas dans les environs... Il me faisait beaucoup trop d'effet, mes sentiments pour lui étaient beaucoup trop importants pour que je puisse être réellement claire avec moi-même. Malheureusement, il découvrit ce que je ne voulais pas qu'il découvre, du moins pas pour le moment. Il était vraiment mal tombé. Inconsciemment, comme si cela pouvait changer quelque chose, je venais placer ma main contenant le billet derrière mon dos... Mais pourquoi au juste ? Si c'est caché, c'est comme si ça n'avait jamais existé, n'est-ce pas ? Nous ne sommes pas des enfants de trois ans, cette fourberie ne fonctionne pas, Hae-Ri, et tu le sais ! Je soupire légèrement. Évidemment, à aucun moment il ne va croire que je partirais pour de simples vacances. Je sais qu'il n'est pas bête, c'est même tout le contraire... Et il avait tout de suite compris la réalité, le fait que j'avais envisagé de partir m'installer en Corée. Que pouvais-je bien dire ou faire ? C'était une situation vraiment compliquée... Alors que, soyons honnêtes, j'aurais simplement voulu, et eu besoin, qu'il me prenne dans ses bras, me serre contre lui et m'embrasse comme jamais... Pour m'aider à m'ancrer de nouveau complètement à lui. Mais comment lui reprocher de focaliser sur ce billet qui pouvait signifier tant de choses ?

Je viens ancrer mes iris aux siennes, et je décide d'être simplement le plus honnête du monde avec lui, à quoi bon mentir après tout ? "Oui... J'ai envisagé la possibilité de partir en Corée du Sud, et de tout recommencer là-bas." Je dis cela avec franchise, clarté, rapidité, comme pour arracher un pansement qui risquait d'être trop douloureux à enlever avec douceur. Je viens poser le billet sur une petite table non loin de moi. Je joue ensuite un peu avec mes doigts, trahissant ma nervosité alors que je passe près de lui en continuant quelques pas plus loin, essayant de rassembler mes pensées et de chercher comment lui dire les choses. "Tu sais que j'ai vraiment du mal avec cette vie... Et tu sais aussi que moi, j'ai du mal avec le fait que toi, tu veuilles rester dans cette double-vie que nous partageons." On en a parlé pendant notre isolement. J'aurais voulu pouvoir vivre une vie normale avec lui, mais c'était impossible, vu qu'il ne voulait pas quitter sa famille. Une partie de moi pouvait le comprendre, mais une autre partie lui en voulait de nous priver de cette chance d'être juste... Nous.

J'ai l'impression que je me perds un peu dans mes explications, mais c'était tellement dur, je ne m'étais pas préparée à tout ça, pas maintenant, pas comme ça... Je dois donc improviser. "Depuis qu'on est rentrés... Je suis perdue." Commencé-je, n'arrivant pas à me tourner vers lui pour lui faire face pendant que je m'exprime. C'était peut-être plus facile comme ça après tout, pour dire tout ce que j'avais à dire. "La mafia, mon père, ma vie, toi, notre couple... Je ne sais plus où j'en suis ni ce que je veux." Je me sens presque coupable de lui dire tout cela. Mais je ne veux pas non plus lui mentir et cacher la détresse qui m'anime. Ça n'aurait aucun sens, ni aucun bénéfice. Dans un couple, on est honnête et on se dit les choses. Je veux vraiment suivre ce principe, même si je sais que ce que je lui dis... n'est pas réellement plaisant à entendre. "Kyu-Geon... Si je te demandais de choisir entre la mafia et moi... Qui est-ce que tu choisirais?" lui demandai-je avec sérieux. La question était lourde de sens, chargée d'émotions et de conséquences potentielles. J'espérais obtenir une réponse honnête, même si j'appréhendais la réponse.

It's time to meet again

Hae-Ri sait ce que je ressens pour elle. Elle sait -et je pense que c’est réciproque- à quel point notre relation est forte. Je ne peux pas me passer d’elle ou l’oublier plus de quelques heures. C’est comme ça depuis que je suis tombé sous son charme. L’idée-même qu’elle puisse penser partir loin de moi me dérange au plus haut point et elle peut lire sur les traits de mon visage les émotions qui me partagent. Je suis bien moins souriant et détendu qu’il y a un instant. La revoir me réjouissait. Je ne me sens plus que trahi et angoissé à la pensée que je puisse la perdre, la voir partir loin de moi et pour quelles raisons ? C’est ce que j’attends de savoir. Ma mâchoire est serrée et je suis chacun de ses gestes du regard. Elle dépose le billet sur une table tout ça pour chipoter nerveusement avec ses doigts. J’imagine bien que ça lui trotte dans la tête depuis au moins quelques jours et qu’elle n’a même pas pris la peine de m’en parler, d’en discuter avec moi. Je me contente de croiser les bras silencieusement. Ce qu’elle me dit n’est pas vraiment nouveau mais je ne pensais pas que ce serait difficile pour elle au point qu’elle pense à partir aussi loin d’ici. Elle reste loin de moi, étant simplement passée à côté de moi sans contact physique, sans la chaleur et la proximité si naturelle qu’il y a habituellement entre nous. Elle ne croise même plus mon regard, restant simplement dos à moi comme si elle craignait de croiser mon regard. Je peux la comprendre, je dois paraître particulièrement froid en ce moment. N’y a-t-il pas de quoi ? J’ai la sensation que tout ce qu’elle me dit ressemble à une conversation de rupture. C’est loin de me plaire.

-Et tu penses que fuir à l’autre bout du monde t’aidera à être moins perdue ?

Ma voix n’est pas aussi chaleureuse que d’habitude, elle se fait plus tranchante, blessée par ce qu’elle insinue. Je pensais que ça ne pouvait pas être pire mais voilà qu’elle me pose une question qu’aucun passionné par son métier ne voudrait entendre. Mes sourcils se froncent et comme je l’ai fait un peu plus tôt, je reste un premier temps silencieux. Mes lèvres finissent par légèrement s’entrouvrir dans un soupire.

-Tu me demanderais vraiment ça… ?

Je m’avance vers elle pour me mettre face à elle et la forcer à ancrer son regard dans le mien, même si elle a essayé de l’éviter jusqu’ici. Elle sait que ça fait partie de moi mais moi, je n’avais pas compris qu’elle aurait vraiment des difficultés à m’accepter comme je suis.

-Est-ce que tu veux simplement avoir la réponse à cette question ou est-ce que ce que tu veux vraiment, c’est que je quitte ma mafia ? Je secoue la tête et garde les lèvres pincées, Tu n’imagines pas ce que je serais capable de faire pour toi, Hae-Ri. J’ai pris le contrôle de ma mafia pour pouvoir être avec toi sans que personne ne se mette entre nous. J’ai même tué mon propre père.

Bien sûr, ça ne m’a pas vraiment touché, ce n’était qu’un homme comme un autre à mes yeux. Un bon mafieux mais un très mauvais père.

-Je te choisirais toujours. Je ne vois pas ma vie sans toi et je ne veux même pas l’imaginer. Est-ce que ça te rassure ? Est-ce que cette question signifie que tu ne voudras pas de moi dans ta vie si je reste un mafieux ?

It's time to meet again

Les yeux rivés dans le vide, au fond de moi, je savais qu'il avait raison. Est-ce que fuir réglerait vraiment les problèmes ? Mon père ne mettrait-il pas tout en œuvre finalement pour me retrouver ? Et Kyu-Geon ?... N'étais-je pas finalement prisonnière à vie de ce monde que j'exècre plus que tout ? Laissant mes yeux chuter vers mes mains, j'avais la sensation d'y voir des menottes crocheter mes poignets. Mais je l'ai toujours su, quoi qu'il arrive... Je ne pourrais jamais réellement m'en aller et faire comme si rien de tout ceci n'existait... Et pourrais-je simplement le faire ? Pourrais-je ne serait-ce que quitter Kyu-Geon et refaire ma vie... Une vie dans laquelle il ne serait pas ? Mon amour pour lui m'était tombé dessus d'un coup, m'assommant totalement, et je savais très bien... Que le quitter était quelque chose que je n'arriverais sûrement jamais à faire.

Alors qu'il venait se planter devant moi, je relevais les yeux vers lui et mon cœur rata un battement. Je venais de lui poser une question... Une horrible question que je ne pensais même pas avoir le courage de lui poser. Mais voilà, c'était fait et maintenant j'attendais avec anxiété sa réponse. Mais alors qu'il me questionnait, moi-même je ne savais pas ce que j'attendais réellement de lui. Juste une réponse pour me rassurer ? Ou une réponse avant de potentiellement lui demander d'exécuter réellement ce qu'il venait de dire. J'étais toujours aussi perdue, et cette conversation ne m'aidait pas encore suffisamment pour que je puisse me positionner. Mais mon cœur se serrait dans ma poitrine alors qu'il m'annonçait qu'il avait pris le contrôle de sa famille, tuant son propre père. La surprise devait sûrement se lire sur mon visage à cette annonce loin d'être conventionnelle. Et ça n'avait même pas l'air de le toucher... Je savais qu'il entretenait des relations particulières avec son père, mais quand même... Je ne pus m'empêcher de lui demander : "Et mon père ? Tu le tueras aussi s'il se met entre nous ?" J'étais devenue très sérieuse. Tuerait-il toute personne qui le ferait ? C'était extrême, pour moi, pour un vrai mafieux sûrement pas tant que ça, je le savais bien. Je poursuivis : "J'ai vu mon père. Il veut que je reste à ses côtés... J'ai essayé de lui parler de nous, mais il ne veut rien entendre... Il n'a pas confiance en ta mafia, en ta famille depuis la trahison de ton père..." Cela compliquait énormément les choses. Comment continuer à entretenir une relation dont mon père ne veut pas entendre parler sous aucun prétexte ? Devrais-je supporter de voir mon propre père et l'homme que j'aime s'entretuer ? Non... Je ne pouvais pas.

Je soupirais légèrement alors qu'il posait une question pourtant des plus pertinentes. "Bien sûr que ça me rassure... Mais... je ne sais pas... Qu'est-ce que je suis censée faire maintenant ? Choisir entre toi et mon père ? Tout serait tellement plus simple si tu n'étais que producteur... Mais tu ne l'es pas..." Je me perdais toute seule dans mes explications, dans mes propres pensées, tout semblait se mélanger. L'acceptais-je réellement tel qu'il était ?... Sûrement oui, j'étais tombée amoureuse, et j'étais toujours amoureuse de lui malgré la réalité. "Ne te méprends pas, Kyu-Geon, je t'aime. Que tu sois producteur, que tu sois mafieux, ça ne change rien à ce que je ressens... Mais j'ai peur, j'ai peur de ce qui va se passer ensuite. J'ai peur de finir par te perdre..." D'une manière ou d'une autre, j'avais peur que nous soyons séparés. Par la volonté de mon père, par sa mort plus que fortement prématurée à cause de ce milieu... Je crois que j'avais simplement peur de souffrir... De souffrir d'une absence définitive à laquelle je ne pourrais plus remédier... Et je me rendais compte encore une fois à quel point je pouvais être amoureuse de lui.

It's time to meet again

Elle finit par relever son regard vers moi et nos yeux se croisent enfin. J’aurais simplement voulu pouvoir la prendre dans mes bras, l’embrasser comme nous l’avons toujours fait et comme si rien ne s’était mis entre nous. Mais la voilà, à s’interroger sur toute sa vie et surtout sur les choix que je fais pour la mienne. Mes bras sont toujours croisés alors que je lui réponds. J’ai beau être froid, je me montre, comme toujours particulièrement honnête avec elle. Je ne vois pas quel intérêt j’aurais à lui mentir. Je sais que ma vérité, mon monde, tout ça ne peut que lui déplaire. Je vois bien qu’elle est surprise quand elle apprend que j’ai tué mon père. C’était selon moi la seule façon crédible de prendre le contrôle de ma mafia. Elle ne le voit peut-être pas comme ça mais je sais une chose : Hae-Ri n’est pas comme moi, elle n’a pas la même vision des choses que moi. C’est une bonne chose, d’un côté, et de l’autre… Je sais qu’elle ne pourra peut-être jamais me comprendre. Je penche la tête et mes lèvres se pincent dans un rictus.

-Mon but n’est pas d’assassiner ton père. Je sais que je te perdrais si je le faisais. La violence est une solution que je choisis souvent mais j’ai conscience qu’elle n’est pas la seule.

Je repose mon regard sur elle quand elle mentionne la conversation qu’elle a eue avec son père. Bien sûr, ce qu’elle m’apprend ne me surprend pas vraiment. Je ne m’attendais pas à ce qu’elle m’annonce que tout à coup, son père avait décidé de m’accepter comme partenaire de sa fille. Ça ne sera pas aussi facile, ça n’arrivera peut-être jamais mais je ne compte pas renoncer, pas à la seule femme dont je suis tombé amoureux. Ma mâchoire est serrée et mes expressions montrent à quel point je prends cette conversation avec beaucoup de sérieux.

-Je ne suis pas mon père. Les choses dans ma mafia ont changé depuis que je suis en charge.

Avec la vie que nous menons, les milieux dans lesquels nous sommes nés, rien ne pourra jamais être une évidence. Nous allons toujours faire face à des obstacles, des personnes qui ne croient pas que notre relation soit possible. Face à ça, il n’y a qu’une façon de réagir : continuer de se battre. Je ne sais pas si ce billet d’avion signifie que Hae-Ri pense à abandonner mais ce n’est pas le comportement que je compte adopter.

-Mais je ne suis pas qu’un producteur.

Je m’approche d’elle et mes doigts viennent doucement frôler sa joue. Son inquiétude est touchante, presque adorable. Je ne peux pas la blâmer d’être préoccupée mais de là à penser à partir, aussi loin… Je jette un coup d’œil au billet d’avion toujours posé un peu plus loin et secoue la tête.

-Tu n’es pas prête de me perdre, Hae-Ri, on ne se débarrasse pas de moi aussi facilement., je marque une courte pause pour rapprocher son visage du mien, Je ne te demanderais pas de choisir entre ton père et moi. Je vais plutôt aller le voir pour lui parler. Nous ne pouvons pas éternellement être ennemis, ma mafia et la sienne. Je te l’ai dit, il n’y a pas que la violence comme solution. Nous sommes ensemble, toi et moi, et il va bien devoir l’entendre un jour ou l’autre.

It's time to meet again

Au moins, assassiner mon père ne faisait pas partie de ses plans. Pas que j'en aie déjà réellement douté, mais qu'il me le dise clairement était quelque chose qui me rassurait. Dans la mafia, les raccourcis avaient tendance à être souvent pris, et se débarrasser de quelqu'un pour obtenir ce qu'on veut était une situation que j'avais déjà trop souvent vue autour de moi... Voilà peut-être pourquoi cela pouvait légèrement m'angoisser... Et honnêtement, même s'il y avait beaucoup de tension dans la relation que j'entretenais avec celui que j'appelais "papa", je ne voyais pas encore mon monde sans lui... Il restait mon père malgré tout et j'arrivais encore à voir les bons moments que nous avions passés ensemble lorsque j'étais enfant... Toutes les bonnes choses n'avaient pas encore disparu, et je me raccrochais aux quelques souvenirs heureux que j'avais encore.

Petit à petit, plus je parlais avec Kyu-Geon, plus je me rendais compte d'une chose... Une chose qui me sautait finalement aux yeux. J'avais peur. Peur de le perdre, d'une manière ou d'une autre. Peur qu'il soit tué par n'importe lequel des deux clans... Je savais ce qu'impliquait notre mode de vie, et si l'on observe nos mains, nos lignes de vie ne doivent pas être bien longues... Et je savais déjà très bien que je ne supporterais pas d'apprendre sa mort... Je l'aimais trop pour ça... Alors j'avais peur... Peur de vivre avec cette angoisse qui me prenait aux tripes chaque jour de ma vie... Je pense que l'incident qui lui avait causé sa longue convalescence avait beaucoup joué là-dessus. Notre vie ne tient qu'à un fil et il était bien trop facile de le couper... Moi-même, j'aurais dû mourir le même jour que Stéphane, lorsqu'ils nous avaient capturés... C'est même lui qui aurait dû directement me tuer... Mais contre toute attente, nous sommes encore en vie tous les deux... Mais pour combien de temps? Alors oui, peut-être que fuir n'avait rien de logique pour certains... Mais pourtant, pour moi ça me semblait parfaitement logique et légitime.

Je soupirais légèrement à ses mots. Je savais qu'il cherchait à me rassurer, malgré tout je n'étais pas sûr que cela fonctionne réellement. "Tu ne peux pas dire ça... J'ai déjà failli te perdre... Et je n'ai vraiment pas envie de revivre ça." Malheureusement, ni lui ni moi n'avions le moindre contrôle sur les événements. J'essayais cependant de relativiser, et de prendre en considération ce qu'il me disait... Il voulait trouver mon père et parler avec lui... Je ne sais par quel miracle il pourrait lui faire changer d'avis... "Très bien... Je te fais confiance... Mais il va falloir que tu trouves un moyen pour qu'il te fasse confiance," lui expliquai-je. Mon père n'avait jamais été contre les alliances, si Kyu-Geon trouvait la meilleure façon de s'y prendre... Peut-être qu'un miracle se produirait.

Lentement, je m'éloignai de Kyu-Geon pour retourner près de la petite table sur laquelle j'avais posé le billet. Je le pris d'ailleurs en main et le fixai quelques secondes. Il avait représenté une porte de sortie, une échappatoire, une fuite en avant... Un moyen de me protéger d'une éventuelle douleur future... Mais que valait-il mieux? Fuir? Ou vivre ce que je pouvais vivre à fond, même au risque que ça finisse mal? Un regard vers l'homme que j'aimais m'aida à répondre à cette question... Et je finis par littéralement déchirer ce billet que je gardais depuis trop longtemps. J'abandonnai les morceaux ainsi déchirés sur la table pour venir faire ce que j'aurais dû faire depuis le début de cette rencontre: aller vers Kyu-Geon, encadrer son visage de mes mains et venir l'embrasser passionnément après ces deux longues semaines de séparation.