Il est presque dix-neuf heure et Jisoo ne devrait plus tarder à arriver. Je lui ai demandé de me rejoindre directement chez moi. Il connait mon adresse et ce n’est pas la première fois que je l’invite dans cette maison bien trop grande pour un seul homme. Quoiqu’une semaine sur deux, je ne le suis plus tout à fait. D’ailleurs mes filles auraient dû rester avec moi jusqu’à la fin du week-end mais elles ont toutes les deux préférées aller chez des amis, ce que je ne peux pas leur reprocher vu leur âge. Alors on peut dire que j’ai retrouvé plus tôt que prévu ma solitude. Cela étant dit, je n’ai pas invité Jisoo à me retrouver ici pour me tenir compagnie. On ne peut pas dire que les moments que nous passons ensemble soient ceux que je préfère mais j’ai fini par me faire une raison. Tant qu’il possède un pouvoir de chantage sur moi, je dois me plier à ses caprices et son bon vouloir.

Ce soir, nous n’allons pas passer la nuit à travailler sur son mémoire ou sur un quelconque manuscrit. Je l’emmène à une soirée, une sorte de réception mondaine à laquelle j’ai été invité. Elle regroupe des éditeurs, des écrivains, des universitaires et d’autres personnalités de la région œuvrant dans le monde du livres et de la littérature à tous les niveaux. Le genre de soirée ennuyante qui devrait lui plaire.

Je suis en train de me battre avec ma cravate lorsqu’on sonne à ma porte. On peut dire qu’il tombe bien car avec un bras en moins, on ne peut pas dire que je sois très efficace. Je n’ai pas encore enfilé ma veste et ma cravate pend encore autour de mon cou lorsque je vais lui ouvrir. Mon bras droit est quant à lui immobilisé et je ne vous dis pas à quel point j’ai pu galérer pour mettre cette chemise.

Après lui avoir ouvert, je le laisse entrer et lui montre mon bras :
« Tu tombes bien. Tu vas pouvoir m’aider à m’habiller. »
Je suis droitier et me retrouver avec l’avant-bras droit cassé, me montre à quel point nous sommes faits pour avoir deux mains et surtout deux bras valides. D’ailleurs avant qu’il ne m’en pose la question, je lui dis :
« Je me suis fait ça hier après-midi en faisant du cheval avec mes filles. »
Une chute complètement idiote qui s’avère douloureuse, ce qui me fait penser qu’il faut que je prenne mes anti-douleurs avant qu’on y aille.
« Bien entendu, je compte sur toi pour conduire. »

Jusqu'à présent, tout se déroule selon son plan. Son plan qui a beaucoup évolué depuis sa rencontre avec David et plus précisément, depuis sa première confrontation officielle. Il faut dire que ça s'avérait beaucoup plus facile qu'il ne s'y attendait, le professeur semblant avoir une propension particulière pour se mettre dans l'embarras. D'ailleurs, avec le temps, Ji Soo devait avouer s'attacher à lui, d'une certaine façon. Avoir une emprise sur quelqu'un forçait une proximité particulière qu'il s'amusait à entretenir à s'imposant chaque fois que possible.

Cette soirée en est un exemple parfait. David avait brièvement mentionné une réception mondaine du monde littéraire et le coréen avait insisté pour l'accompagné. Le  prétexte qu'utiliserait le professeur lui importait peu, tant qu'il pouvait être présent. L'heure convenu approchait à grand pas et Ji Soo avait pris soin de revêtir ses plus beaux habits avant de se diriger vers la demeure de l'homme dont il connaissait l'adresse pour y être venu à quelques reprises, lorsqu'il n'avait pas la garde de ses enfants.

Une fois devant la porte, Ji Soo sonne et David met plus de temps que nécessaire à venir lui ouvrir. Il soupire lorsque ce dernier apparaît enfin devant lui avant de l'observer avec surprise en constatant que son bras droit est immobilisé par une attèle, détail qu'il ne lui avait pas partagé. Sans un mot, l'étudiant suit le professeur à l'intérieur, attendant des explications qui ne tardent pas à arriver. Un léger rire méprisant s'échappe de ses lèvres en imaginant une stupide chute du haut d'un cheval. Il ne comprendrait jamais pourquoi les européens s'obstinaient à monter sur ces créatures si imprévisibles.

Vraiment, tu n'hésites jamais à te mettre dans des situations pas possibles.

Il glisse une main dans ses cheveux avant de s'approcher de l'homme, ses mains glissant sur sa cravate qui pend autour de son cou. Une vision triste en soit.

Laisse moi faire si tu veux pas qu'on soit en retard. À moins que ça t'excites, attirer les regards sur nous?

Chaque fois qu’il ouvre la bouche, je réalise à quel point l’ancien Jisoo me manque. Ce gentil et docile étudiant discret que je n’aurais jamais cru capable de me faire chanter de manière si odieuse... Il m’a fallu du temps pour en faire le deuil. Non en fait, je n’en suis pas encore tout à fait remis mais j’ai bien intégré qu’entre nous, c’était désormais la guerre. Une guerre froide mais une guerre quand même, faites de faux-semblant, d’hypocrisie et de manipulation. Bien sûr, il a une longueur d’avance sur moi. A ma décharge, le choc du chantage a été difficile à intégrer et le seul bon côté dans cette histoire est que mon ex-femme n’hante plus mes pensées. Le seul qui a le droit à toute mon attention c’est Jisoo, mais n’est-ce pas ce qu’il voulait depuis le début ?

Un léger sourire méprisant se dessine sur mes lèvres à sa remarque mais je veille à l’effacer avant de lui répondre :
« Non ce n’est pas le genre de chose qui m’excite mais je note que le sujet t’intéresse. »
Notre proximité me met mal à l’aise mais c’est de ma faute, c’est moi qui lui ai demandé de m’aider à m’habiller et puis il va falloir que je m’y habitue car Jisoo ne sortira pas facilement de ma vie et ne le fera certainement pas de lui-même. D’ailleurs j’ai le cœur qui bat vite et l’estomac noué, non pas à cause de sa proximité mais plutôt à cause de ce que je m’apprête à dire. Quand j’y ai pensé la nuit dernière, ça me paraissait plus simple et parfait comme plan mais à présent que je dois le mettre en pratique, je suis en proie aux doutes. Cela dit, si je ne fais rien je risque de continuer à être à sa chose et je refuse de vivre de cette manière.
« Je me demande comment je vais me débrouiller toute la semaine. »
Je m’interromps pour reprendre avec plus d’assurance :
« J’ai une chambre d’ami, reste avec moi cette semaine. Mes filles seront chez leur mère et ça me laissera le temps de m’habituer à vivre avec un bras en moins. »
Non je ne suis pas fou et je sais que je me jette d’une certaine manière dans la gueule du loup mais ne dit-on pas qu’il faut être proche de ses amis et encore plus de ses ennemis ?

David semblait commencer à s'habituer aux remarques douteuses de Ji Soo, au point de pouvoir lui retourner ses moqueries sans trop de difficulté. Relativement bon joueur, l'étudiant se contente d'hausser les épaules, sachant que leur arrivée ne dépendrait que de lui. Après tout, le français n'était même pas apte à conduire sa voiture, ni même à se vêtir par lui-même. C'était une chance inespérée pour Ji Soo, à croire que le destin voulait réellement lui rendre la tâche facile.

Évidemment, David ne semble pas particulièrement confortable lorsque l'étudiant s'approche pour l'aider et ce, malgré sa demande. Ce dernier ne l'avouera pas mais c'est la première fois qu'il noue la cravate pour quelqu'un et il est quelque peu maladroit, devant se reprendre à quelques reprises avant de finalement y parvenir. Heureusement, il termine avant que le professeur reprenne la parole, le surprenant par sa proposition à laquelle il ne se serait jamais attendu. Il avait besoin d'aide, certes, mais c'était la sienne qu'il demandait? Un sourire ravi se dessine sur les lèvres de Ji Soo, lui donnant un air plus innocent et moins calculateur pour un bref instant.

Si c'est ce que tu veux alors... Avec plaisir.

Il se demandait pourtant à quoi pouvait bien penser David pour lui faire une telle offre. Et si on venait à le savoir? Le coréen s'en moquait bien mais pas l'autre homme. Soudainement, il a l'impression que cette proposition cache peut-être quelque chose qu'il n'avait pas envisagé. Reculant d'un pas, il prétend l'indifférence avant de reprendre la parole.

Voilà, il te manque plus que ta veste. Mais dis moi... Pourquoi moi? Aux dernières nouvelles, tu ne me fais pas confiance mais tu voudrais que je passe la semaine chez toi, que je sois celui qui t'aide pour... Tout?

« Ma veste se trouve sur le canapé. Tu m’aides encore ? »
J’esquisse un léger sourire alors que j’ai le cœur qui bat à cent à l’heure. Je ne suis pas mécontent que nous ayons retrouvé une certaine distance physique mais ce que je m’apprête à faire ce soir. Est-ce que je fais le bon choix ? Je pourrais tout perdre sur un coup de poker et en même temps, si je n’agis pas, les choses pourraient empirer d’elles-mêmes. Alors mieux vaut avoir des remords que des regrets.

Quant à sa question, elle est légitime. Aurait-il flairé un quelconque piège ? Peut-être et puisque je ne suis pas aussi bon menteur que lui, autant jouer la carte de l’honnêteté.
« Ce n’est pas ce que tu voulais ? Être au plus près de moi ? Si je fais venir quelqu’un d’autres, il comprendra qu’il se passe quelque chose entre nous. Je n’ai pas envie d’avoir à rendre des comptes à qui que ce soit. »
Mettre ma veste, même avec l’aide de Jisoo s’avère compliqué. Je me demande encore comment j’ai pu me débrouiller avec ma chemise. Ça relève presque du miracle.
« La réception aura lieu dans la salle d’honneur de la mairie et j’ai beaucoup monde à te présenter. Il y aura des éditeurs, d’autres écrivains et des collègues professeurs qui enseignent dans d’autres universités. Tu vois, je remplis ma part du marché. Tu pourrais peut-être faire un geste toi aussi en effacer une partie des éléments compromettants que tu as sur moi. Les photos ou bien la vidéo. Je pense que cela aiderait notre relation. Ça serait un premier pas vers une confiance mutuelle, tu ne trouves pas ? »
Je suis prêt, je lui tends ma clé de voiture. Nous pouvons y aller car quelque soit sa réponse, elle ne changera rien au programme de notre soirée.
« Tu m’aideras aussi pour ma ceinture ? »
Je lui adresse un sourire amusé qui pour une fois est sincère. J’avoue que tout bien considéré, ce n’est pas déplaisant de le voir être à mes petits soins. Je me dis que je pourrais même y prendre goût.

David était en position de vulnérabilité, encore une fois. Ji Soo semblait toujours avoir le dessus sur la situation alors que, cette fois-ci, il avait besoin de son aide sur le plan physique, en plus d'avoir cette éternelle épée de Damoclès au dessus de la tête avec les informations que l'étudiant détenait à son sujet. Coopérant pour l'instant, ce dernier se dirige vers le canapé pour récupérer sa veste et revient vers le français, l'aidant avec une douceur surprenante à l'enfiler. Néanmoins, Ji Soo se doit de lui demander ce qu'il a derrière la tête puisqu'il se doute bien ne pas être la première personne à laquelle il pense pour lui apporter un peu d'aide. La réponse de David est cependant assez logique pour le coréen calme ses doutes.

Ravi de voir que tu me fais assez confiance en moi pour t'aider.

Il lui fait un clin d'oeil lourd de sous-entendu avant de s'éloigner, une fois sa veste enfilé, pour lui redonner l'espace dont il avait certainement besoin. Un léger rire s'échappe des lèvres de Ji Soo en entendant la demande, bien que légitime, de David. Il patiente quelques secondes avant de répondre.

Je peux effacer la photo de nous deux si tu ne veux pas en garder un souvenir. De toute façon, je doute que ton passage dans les dortoirs soient complètement passé inaperçu et pour ma part, je me rapelle assez bien de cette nuit.

Il tend la main pour prendre la clé de la voiture. Heureusement, il l'avait déjà conduit lors de cette fameuse soirée alors il commençait à prendre ses aises.

Bien sûr je t'aiderais. Ce serait terrible s'il t'arrivait quelque chose à cause d'un malheureux accident.

De toute façon, Ji Soo était un chauffeur prudent alors il ne s'inquiétait pas sur ce point. Comme s'il était chez lui, il se dirige vers la porte d'entrée qu'il ouvre, faisant signe à David de le suivre, un sourire en coin accroché au visage.

J'espère que tu ne te sens pas trop vulnérable, je tâcherais de veiller sur toi.

Son sourire en coin ne m’échappe pas mais rira bien qui rira le dernier. Quant à ma supposé vulnérabilité, tant mieux s’il me croit réellement à sa merci. Il devrait relâcher plus facilement sa vigilance et c’est tout ce que je demande. Quant à la photo, je ne pensais pas qu’il consentirait à la supprimer si facilement. D’un autre côté, si on tient compte des rumeurs qui ont déjà envahi le campus, je crois qu’elle n’a plus vraiment d’utilité.

Je le suis à l’extérieur et attends qu’il déverrouille la voiture pour m’installer côté passager. J’attends qu’il m’aide pour la ceinture puis me je me décide à lui demander :
« On dirait que ça ne te dérange pas que les gens s’imaginent que nous avons une liaison ensemble. Est-ce que c’est aussi ce que tu attends de moi ? »
J’essaie d’avoir à l’air décontracté en abordant le sujet mais je ne suis clairement pas à l’aise. Ma rencontre avec San Ha m’a été d’une grande aide mais ça ne fait malheureusement pas tout. D’ailleurs j’ai le cœur qui bat la chamade en pensant à tout ce que j’ai prévu pour ce soir. Si j’avais encore une chance de tout arrêter, c’est désormais trop tard puisque Jisoo prend déjà la direction de l’hôtel de ville. Nous avons quelques minutes de route devant nous. Moins de cinq même en comptant les éventuels feu rouge et autres panneaux stop.
« Au fait, peu importe ce qui se passera ce soir et qui nous rencontrons, je compte sur toi pour rester avec moi. Je déteste ce genre de réception alors ne t’avise pas à de me laisser seul. En plus avec une seule main, je ne suis bon à rien. Je vais avoir besoin de ton aide pour de nombreuse chose. »
Je ne pense pas qu’il était très utile de le lui dire mais je me sens plus tranquille maintenant que je l’ai fait.

Ji Soo met un moment avant de réaliser que, étant donné son état, David a besoin de son aide avec la ceinture de sécurité. Il ne tarde pas à s'exécuter non sans maladresse puisque c'est la toute première fois qu'il doit porter ce genre d'assistance. Il a l'impression de s'occuper d'un enfant en complet. La question du professeur le fait sourire et, une fois la ceinture bien installée, il relève son regard vers lui, ne s'éloignant pas immédiatement.

Je trouve ça flatteur, pas toi? Qu'un auteur et un professeur d'une certaine renommée, fraîchement divorcée de sa femme avec laquelle il a eu des enfants s'intéresse à un simple étudiant comme moi qui ne réussit même pas à t'impressionner...

Un rire forcé s'échappe de ses lèvres alors qu'il reprend finalement place derrière le volant.

Je n'attends rien sur ce plan. Je suis déjà assez exigent avec toi tu ne trouves pas?

Sans le moindre regard, il démarre la voiture et prend la direction de l'hôtel de ville. La distance est assez courte et ils ne mettent que quelques minutes avant d'y arriver.

Si je reste à tes côtés, tu ne crois pas que les gens se méprendront davantage sur notre relation? Mais peut-être est-ce ce dont tu as envie?

Amusé, il garre la voiture avant de sortir à l'extérieur pour en faire le tour et ouvrir la porte à David qui a sans doute besoin de son aide pour retirer la ceinture. Il s'exécute donc avant de lui tendre les clés de sa voiture.

Pour être plus prudent, garde tes clés. Ça me donnera une autre bonne raison de rester à tes côtés.

Je garde le silence durant tout le court trajet qui nous mène jusqu’à l’hôtel de ville. Je me contente de l’écouter, tout en veillant à ne pas trop me perdre dans mes pensées. Le faire pourrait nuire à mon sang-froid et je vais en avoir besoin pour aller au bout de ce que j’ai en tête.

Après avoir garé la voiture, Jisoo en sort le premier pour m’aider. Lorsqu’il ouvre ma portière, je me décide alors à desserrer les lèvres pour lui répondre :
« Je croyais que c’était ce que tu voulais. Que les gens pensent que nous sommes ensemble. Alors reste avec toi jusqu’à la fin de cette soirée. »
Mon comportement contraste beaucoup avec celui que j’ai pu avoir jusqu’ici et peu importe qu’il se méfie ou non. Ça ne changera rien à ce que j’ai prévu pour nous ce soir.
« J’ai laissé un sac sur la banquette arrière, tu m’aides à le récupérer ? »
C’est un sac en papier, comme ceux qu’on peut nous donner dans certain magasin. Celui-ci porte le nom d’une marque de champagne. A l’intérieur se trouve un cadeau emballé qui dépasse légèrement du sac.
« C’est une surprise. Pour après la réception. J’aurais encore besoin de toi tout à l’heure. Pour l’ouvrir bien sûr. »
Le paquet n’a pas la taille ni la forme d’une bouteille. Il est plutôt léger et si Jisoo essayait d’en deviner le contenu, il n’y arriverait pas mais qu’il se rassure, je ne compte pas lui faire du mal avec. D’ailleurs une fois la clé de la voiture dans ma poche et mon sac à la main, je lui fais signe de me suivre :
« C’est par ici. »
En chemin, nous croisons d’autres invités que je salue poliment sans engager la conversation. Je ne les connais pas et ce sont avec des collègues universitaires que j’ai envie de parler ce soir. De préférence des amis qui enseignent dans les universités voisines. Certains m’ont prévenu de leur présence ce soir, dont celui que je considère comme mon mentor.

L’entrée est filtrée par un vigile et après avoir vérifié que mon nom était bien inscrit sur sa liste, je guide Jisoo à l’intérieur de la mairie. La salle d’honneur est tout de suite sur notre droite et on peut difficilement la manquer.
« Il faut que je te présente mon mentor. Le professeur Barbe. Il enseigne dans l’université voisine de la nôtre. Je suis certain que ça pourrait te plaire. »
J’adresse à Jisoo mon plus beau sourire et je veille à avoir l’air détendu alors qu’en réalité j’ai les entrailles nouées et le cœur qui bat la chamade.
« On peut se prendre un verre avant si tu préfères. Mais tu devras encore une fois m’aider à portant mon sac sinon je ne pourrais pas boire avec toi. Et ne t’inquiète pas, ce n’est pas fragile. »
C’est d’ailleurs très léger mais il n’en connaitra pas le contenu avant la fin de la soirée. En attendant, j’ai du monde à lui présenter.

Ji Soo ne se formalise pas du silence de David. Il sait très bien que ce dernier l'invite à contre coeur. Il est d'ailleurs surpris, alors qu'il l'aide à quitter le siège passager, que le professeur ne semble pas particulièrement dérangé à l'idée que les gens se fassent des idées quant à ce qui les unissait ici à cet évènement. Une relation professeur-élève aussi privilégiée pouvait être mal perçu à de nombreux égards. Le coréen se contente donc de sourire en acquiesçant, n'ayant certainement pas l'intention de quitter les côtés de David s'il tenait tant à le garder en sa compagnie.

Intrigué, Ji Soo tend la main pour prendre le sac mentionné par l'homme et fronce légèrement les sourcils. Ce n'est pas une bouteille qu'il contient et le sac peu porter à confusion. Son regard perçoit finalement l'emballage cadeau qui lui provoque un haussement de sourcils.

Une surprise pour qui?

Inutile de précider que Ji Soo n'était pas particulièrement adepte des surprises, incluant les cadeaux. Il aimait avoir le contrôle et ignorait toujours comment réagir lorsqu'on le prenait au dépourvu. Heureusement, il savait s'adapter facilement alors il se contente de tendre le sac à David. Il suit ensuite le professeur jusquà l'intérieur, saluant poliment et discrètement les gens avec qui ce dernier intéragissait. Décidemment, l'homme sait bien jouer la comédie, il n'y avait qu'à voir le sourire presque naturel qu'il offrait à Ji Soo en lui annonçant qu'il devait lui présenter son mentor.

Allons y pour le verre, je vais prendre le sac.

Il reprend  ce dernier, essayant de ne pas se montrer trop curieux alors qu'ils se dirigent vers une section aménagée en bar. L'étudiant fixe son regard sur David.

Tu sais ce qui paraît bien dans ce genre d'évènement alors je te laisse choisir pour nous.

Il saura bien assez vite pour qui est la surprise. Je lui en réserve d’ailleurs un certain nombre ce soir. Il ne va peut-être pas aimer mais c’est lui qui a tenu à faire partir de ma vie d’une manière ou d’une autre. Ou plus exactement par la force. Il ne pourra s’en prendre qu’à lui.

Nous nous dirigeons vers l’espace spécialement aménagé pour servir de bar le temps de la réception. Il n’y a pas beaucoup de monde et nous ne tardons pas à être servi. Puisque Jisoo me laisse choisir, je nous prends un verre de vin blanc.
« Tu verras, c’est un excellent Chardonnay et ce n’est pas avec un seul verre que tu seras ivre. D’ailleurs je te propose que nous soyons raisonnables ce soir. »
Je rapproche mon verre du sien et trinque doucement avant de boire une gorgée de mon vin blanc. Il est excellent et parfait pour m’aider à garder mon sang-froid. Cependant, je ne ferais pas la même erreur que la dernière fois en buvant trop et en m’en remettant complètement à Jisoo sans aucun contrôle. Quant aux rumeurs qui sont nées à cette occasion, il est temps que j’y mette un terme définitivement et je ne connais qu’un seul moyen pour ça. C’est risqué mais j’ai décidé de tout tenter ce soir.
« Tu vois l’homme là-bas. »
Je lui désigne un homme proche de la soixantaine, occupé à discuter avec un couple.
« C’est celui que je considère comme mon mentor. Il m’a accompagné durant toutes mes études universitaires et il est certainement un bien meilleur professeur que moi. Il enseigne dans l’université voisine. C’est lui que je te présenterais à la première occasion. Je suis certain que ça pourrait être très enrichissant et intéressant pour toi. Après tout, c’est pour ce genre de chose que tu es avec moi, n’est-ce pas ? Pour que je te présente des personnalités qui pèse dans le monde littéraire. Il n’est pas écrivain mais il a été président d’un certain nombre de comité de lecture. Tôt ou tard, il jugera tes écris si tu participes à un concours littéraire. Nous irons le voir quand j’aurais terminé mon verre. »
Je lui montre un autre homme un peu plus loin.
« Lui, c’est mon éditeur mais il est occupé avec sa nouvelle trouvaille littéraire. C’est lui qui viendra à nous plus tard. J’espère que tu sauras te tenir devant tout ce beau monde Jisoo et que tu ne céderas pas à la tentation de me contredire ou de me causer des ennuis. »
Mon ton est ferme et même si j’ai l’air calme, mon cœur continue de battre la chamade dans ma poitrine. Ce que je m’apprête à faire risque de me faire tout perdre si je ne m’y prends pas bien au moment de présenter Jisoo à mes pairs.

Si Ji Soo avait appris quelque chose dernièrement, c’était que David n’était pas aussi mystérieux qu’il l’aurait cru. Il est donc surpris de constater que malgré sa blessure, ce dernier était capable de garder un certain suspense en évitant de lui révéler le contenu du sac immédiatement et en essayant de piquer sa curiosité avec celui-ci. Ils se rendent aussitôt vers l’espace aménagé en bar et le professeur choisit un vin blanc pour débuter la soirée. Le choix fait sourire le coréen qui n’hésite pas à trinquer avant de prendre une première gorgée. C’est un évènement distingué, la qualité du vin le prouve même si, pour être honnête, Ji Soo n’est pas un expert en la matière. Il se demande d’ailleurs si David saura rester raisonnable cette fois-ci ou s’il était prêt à se risquer à nouveau en buvant plus que nécessaire. C’était un homme intelligent, il ne commettrait certainement pas deux fois la même erreur.

Alors qu’ils donnent l’impression d’être complices, David introduit à distance un homme d’un certain âge qui, sans surprise, se trouve à être son mentor. Intéressé, Ji Soo l’observe discrètement, espérant que son directeur soit sincère en mentionnant vouloir l’introduire à ce dernier ce qui serait certainement un atout pour sa future carrière. Leur attention se dirige ensuite vers un autre homme, l’éditeur de David, qui n’hésite pas à le mettre en garde quant à sa potentielle attitude à l’égard de l’homme. L’étudiant échappe un léger rire amusé alors que son regard se pose sur le professeur, prenant un air faussement innocent.

Mais je n’oserais pas… Tu sais David, je sais me tenir. Je n’ai pas besoin de donner un spectacle, j’ai déjà suffisamment d’informations à ton sujet, je n’ai rien à prouver ici. Et tu as besoin de mon aide, visiblement.

Son regard passe de son visage à son bras avant de finalement ajouter :

Tu devras apprendre à me faire confiance, après tout, on sera inséparables pour les prochains jours.

Je ne prends pas la peine de lui répondre tant j’ai l’estomac noué à cause de tout ce que je prévois de faire ce soir. J’aimerais croire qu’il n’est pas encore trop tard pour ça malheureusement j’ai besoin de Jisoo car il n’est malheureusement pas le seul à me faire chanter. C’est à croire que je suis une victime parfaite mais je ne préfère pas penser à cette entité qui rode dans cette ville et que seuls les natifs de Roselake connaissent bien et redoute. Pour les autres c’est une légende urbaine mais je ne prendrais pas le risque de le défier.
« Toi aussi tu vas devoir apprendre à me faire confiance. »
C’est la seule chose que je finis par lui répondre alors que je suis des yeux un vieil ami.
« Tu vois l’homme qui vient de s’arrêter près de mon mentor pour lui parler ? C’est un vieil ami. On a étudié à l’université ensemble et il est adjoint au maire. Viens, allons leur parler. »
Le moment est arrivé plus tôt que je ne l’aurais cru. J’ai tellement mal à l’estomac que j’aimerais partir en courant mais je tâche de faire comme si de rien n’était et j’affiche mon plus beau sourire à celui qui a été jadis mon professeur mais également à mon vieil ami. Faute de pouvoir échanger des poignets de main à cause de mon état, je me contente d’amicale accolade, de sourire et de formule de politesse. Tout le monde sait que j’ai divorcé et en prenant de mes nouvelles, ils veillent à ne pas mentionner mon ex-femme. Une chance car j’ai suffisamment de contrariété pour ce soir. Puis se tournant vers Jisoo, ils paraissent intrigués par sa présence à mes côtés même s’ils doivent supposer qu’il s’agit peut-être un d’étudiant compte tenu de son âge. Je ne laisse pas planer plus longtemps le suspense.
« Je vous présente Jisoo, l’un de mes plus brillant étudiant. Il a une plume remarquable et ça fait un moment que nous songeons à co-écrire un roman. »
Je ne me savais pas aussi bon menteur mais voilà qui devrait faire plaisir à Jisoo.
« Malheureusement ce ne serait pas très étique de le faire tant qu’il est mon élève. »
Je pose alors un regard insistant sur mon ancien directeur de mémoire et de thèse. Intelligent comme il est, il comprend parfaitement l’appel du pied que je lui fais et j’espère qu’il se proposera pour reprendre la supervision du mémoire de Jisoo.
« Mais Jisoo n’est pas seulement mon étudiant. Je supervise aussi son mémoire même si je ne suis pas certain d’être suffisamment qualifier pour un élève aussi brillant. »
Je tourne autour du pot parce que j’ai du mal à clairement me lancer mais il va falloir que je le fasse avant que Jisoo n’intervienne.
« Et puis nous le savons tout les deux, n’est-ce pas Jisoo ? Que je ne pourrais pas continuer à être ton directeur de mémoire. »
J’adresse un sourire à mon étudiant avant de reprendre sans lui laisser le temps de parler.
« Je pensais que c’était un cliché qui n’arrivait qu’aux autres mais moi aussi je suis tombé dans le piège du charme de la jeunesse et je viens justement de proposer à Jisoo de s’installer avec moi dès qu’il aura trouvé un nouveau professeur qui pourra superviser ses recherches, même si cela veut dire changer d’université. N’est-ce pas Jisoo ? Enfin je crois qu’il existe des accords entre nos deux établissements… »
Je ne sais pas quelle sera sa réaction à la bombe que je viens de lâcher et peu importe ce qu’il dira, ça ne m’empêchera d’accomplir la sale besogne qu’on m’oblige à faire ce soir. Car des deux maitres chanteurs qui menacent de ruiner ma vie, Jisoo n’est pas le pire et jamais je n’irais à l’encontre de la volonté de l’entité ancestrale qui hante Roselake.

David n'a pas besoin de lui répondre, Ji Soo sait très bien qu'il a raison et que, encore une fois, avec ou sans menace planant au dessus de sa tête, le professeur avait besoin de lui. Le coréen hausse légèrement les sourcils en entendant le dernier commentaire de l'homme qui a très bien compris que la confiance n'était pas gagnée pour lui non plus. Malgré son assurance, Ji Soo restait sur ses gardes. Il ne connaissait rien à ce monde académique remplie de personnalités littéraires. Même si David les lui présentait à distance, il doute pouvoir tous mémoriser leurs noms et les liens qu'ils entretenaient avec lui. Enfin, le professeur semble décidé à aller vers une première personne, un vieil ami, selon ses dires.

Ji Soo le suit, lui jetant de furtifs regards alors que David lui donne l'impression de ne pas être dans son assiette. Est-ce sa blessure qui le met dans cet état? Ou alors, il n'a jamais réellement apprécié ce genre d'évènements? Difficile à dire pour l'instant.

Une fois arrivée à la hauteur du petit groupe, David les salue avant de présenter Ji Soo dont la présence semble les intriguer. Il est visiblement le seul étudiant présent. Le coréen leur offre des sourires polis avant de prendre une gorgée de son verre, manquant de s'étouffer avec le liquide en entendant les paroles de son professeur. Qu'est-ce qu'il raconte? Ji Soo n'est pas certain de comprendre ce qui e pousse à mentir ainsi, à moins qu'il ne tente d'expliquer la raison de leur proximité apparente. Sans un mot, il continue d'écouter, se mordant la lèvre inférieure pour ne pas intervenir. Il commence peu à peu à comprendre les intentions de David qui cherche à se départir de lui, ou du moins, de la relation académique et potentiellement professionnelle qui les unis. Serrant son verre entre ses mains pour préserver son calme, il affiche un sourire poli et discret avant de finalement prendre la parole.

Professeur Rizal est pourtant bien connu et sa réputation n'est plus à faire. Je souhaitais qu'il soit celui qui superviserait mon mémoire mais c'est vrai que je ne m'attendais pas à ce que nous développions une telle synergie lui et moi. Même s'il s'agit d'une question d'éthique, je suis persuadé que je réussirais beaucoup mieux en restant sous sa supervision. C'est ce que Da... Professeur Rizzal souhaiterait également mais évidemment, nous n'irions pas contre la volonté de qui que ce soit.

Son regard se fait plus insistant, alternant entre l'homme et David pour bien souligner le fait qu'il n'a aucunement l'intention de changer d'université. David essayait de se débarrasser de lui, il n'y arriverait pas.

Jisoo se décide enfin à parler et j’espère que le sourire que j’affiche ne parait pas trop crispé. Il ne manquerait plus que nos interlocuteurs ne remarquent le malaise qu’il y a entre nous même si je vois aux regards qu’ils nous adressent, un mélange de surprise et d’incrédulité. D’ailleurs je ne me suis jamais senti aussi ridicule et nerveux de toute ma vie. Toute cette mascarade n’est pas faite pour moi. Je suis très mauvais acteur et menteur. D’ailleurs je note que les manigances sont bien plus simples à mettre en œuvre dans un roman que dans la réalité, surtout face à un adversaire tel que Jisoo. Alors tout ce que j’espère c’est que la suite se passera mieux que la première partie de tout ce que j’ai imaginé et préparé pour nous.
« Ne t’en fait pas Jisoo, tu peux m’appeler David devant mes amis. Je pense qu’ils ont très bien compris que tu étais plus que mon étudiant. »
Ai-je besoin de dire que ces quelques mots ont bien du mal à sortir ? Bien que dans un sens ce n’est pas tout à fait faux. Il est mon maitre chanteur même si j’essaie de laisser entendre que notre relation est d’une tout autre nature. A l’université, on en parle déjà, alors je ne fais que confirmer les rumeurs pour me faciliter la vie car démentir serait pire que tout.
« Mais pour en revenir au sujet, j’imagine que nous aviserons le moment venu. »
J’adresse alors un sourire qui se veut complice et rempli de tendresse à l’égard de Jisoo alors que mon corps se rapproche du sien pour les besoins de cette petite comédie. Puis prétextant avoir un peu mal à mon bras blessé, je me tourne vers mon cadet :
« J’ai besoin de soulager mon épaule, tu m’accompagnes ? »
Les toilettes se trouvent à l’extérieur de la salle de réception mais ce n’est qu’un prétexte pour nous éclipser. Je sais que Jisoo va certainement me demander des comptes sur ce qui vient de se passer et de mon côté j’ai quelque chose à faire qui ne peut attendre plus longtemps. C’est d’ailleurs à cette fin que j’ai veillé à emmener avec nous ce paquet que Jisoo tient pour moi.